Retrouvez mon intervention au sujet du biocontrôle, parue dans Référence-Appro (avril 2019).

Tester, trier, conseiller

Des distributeurs ont pris le dossier biocontrôle à bras le corps pour tester ces solutions et former leurs équipes à leur utilisation. Chacun a son rythme. Une cadence dictée avant tout par la motivation des hommes en place mais encore freinée par le manque de connaissance, voire par une certaine appréhension des agriculteurs sur le sujet. témoignages.

Pour accélérer l’adoption du biocontrôle par les agriculteurs, des distributeurs n’hésitent pas à mutualiser leurs essais en s’alliant aux instituts techniques Arvalis et Terres Inovia. C’est le cas d’Agrial, Axéréal, Dijon Céréales, Lorca, Noriap, Sévépi, Terre Atlantique, Terrena, Vivescia et Nord Négoce, qui ont rejoint le réseau R2E (réseau d’expérimentation d’excellence). « Travailler ensemble permet de déployer et valider de nouvelles solutions en levant le maximum de freins dans des contextes pédoclimatiques différents », explique Caterine Deschamps, directrice agronomie et innovation chez Axéréal. La méconnaissance du sujet reste néanmoins l’un des principaux freins à ce déploiement.

François GIBON, directeur du NACA
“La forte demande de formation perturbée par le contexte incertain de la distribution”

« Avec le biocontrôle, tout se joue en préventif : la gestion du risque est différente, les conditions d’emploi également. Un changement d’habitude qui nécessite de former les équipes terrain sur l’aspect technique, pour comprendre comment fonctionne le produit, mais aussi sur l’aspect commercial car l’approche client s’avère primordiale. Si l’agriculteur recherche la simplicité par manque de temps, le biocontrôle n’est peut-être pas encore fait pour lui. Les négoces ont pris conscience de l’importance de former leurs équipes. Mais cette volonté forte d’avancer se télescope avec la réalité, encore floue, de l’actualité à venir pour la distribution agricole. Entre la séparation du conseil et de la vente des phytos, la suppression des 3R, les entreprises attendent la mise en place de nouvelles règles.»

Alain NICOLAS, technicien vigne au sein de Terre d’Alliances, filiale Ecovigne
“Le biocontrôle représente 50% de notre gamme fongicide vigne” 

« Depuis 10 ans, je propose des solutions de biocontrôle à nos adhérents. Aujourd’hui, elles représentent 50 % de notre gamme fongicides vigne. Mon objectif était de faire disparaître tous les produits avec des têtes de mort sur les bidons. Je me sentais responsable, et un peu coupable, d’en vendre. Le pari est réussi ! Être proactif nécessite une sacrée dose de conviction et de dépense d’énergie pour accompagner les agriculteurs et les aider à positionner au mieux les produits. Car la cadence des traitements est rapprochée – 7 à 8 jours au maximum en cas de fortes pluies, ce qui est souvent le cas dans la région -, ces produits sont plus techniques, plus compliqués à utiliser… Appliquer du biocontrôle, c’est miser uniquement sur du préventif. Cela fonctionne très bien à condition d’être prudent. À mon sens, nous n’en sommes qu’au balbutiement. Certains viticulteurs sont encore sceptiques quant à leur efficacité. Pour eux, le principal frein reste psychologique. Tous ne sont pas prêts au changement. Heureusement, certains ont accepté de tester ces produits, en même temps que nous. Nous nous sommes formés ensemble. »

Gaël RIVET, responsable de l’animation terrain et appro protection des cultures chez Terre Atlantique (17)
“Il faut parfois batailler pour positionner les solutions de biocontrôle chez nos adhérents” 

« Notre service technique est en veille permanente pour repérer et tester les nouvelles spécialités. Le biocontrôle en fait bien évidemment partie. Pour intégrer notre gamme, un produit doit faire ses preuves dans nos propres essais : être efficace et économiquement rentable. Sur blé, pour contrôler la septoriose, nous proposons par exemple le soufre. Mais il faut parfois batailler pour le positionner chez un adhérent. Les doses appliquées sont plus importantes, la mise en suspension du soufre avant incorporation dans le pulvé est plus délicate, sans compter le nombre de bidons à manipuler et à rincer. Beaucoup d’agriculteurs privilégient encore la facilité de mise en oeuvre. Ce changement de pratiques nécessite un accompagnement soutenu de la part de l’équipe terrain. Les enjeux sont importants : disparition de molécules de synthèse, contraintes environnementales, attentes sociétales… Mais pas question d’opposer conventionnel et biocontrôle qui restent complémentaires. »

Paul ROBERT, dirigeant du cabinet de conseil Novalis Terra
“Le biocontrôle ? Un fort potentiel de différenciation pour les distributeurs”

Comment réduire l’impact environnemental de ses pratiques tout en préservant le rendement de ses productions ? « C’est pour répondre à cette question que les agriculteurs se tournent vers moi, constate Paul Robert. Cela passe par un accroissement de la fertilité biologique des sols, via l’implantation de couverts végétaux notamment, et par une réduction de la dépendance aux produits phytosanitaires. Les produits de biocontrôle permettent effectivement d’utiliser moins de spécialités de synthèse. Mais je constate qu’ils sont souvent mal utilisés et donc, peuvent décevoir leurs utilisateurs. Techniciens et agriculteurs manquent de conseils. Mes clients-distributeurs me demandent de former leurs hommes de terrain, un peu perdus devant la multiplicité de l’offre. Il est important que ces spécialités s’incluent dans une approche globale de la conduite des cultures. Cette nouvelle offre est une opportunité pour les distributeurs de se différencier, de remettre l’agronomie au coeur des échanges avec les agriculteurs. »

Philippe PLUQUET, responsable technique productions végétales chez NORIAP
“Efficacité, rentabilité, environnement… trouver le bon équilibre” 

« Chez Noriap, nous nous intéressons réellement au biocontrôle depuis 2011 et de manière beaucoup plus intense depuis 2014. Nous avons par exemple, en 2015, redécouvert les atouts du soufre. Sur blé, en T1, associé à une demi-dose de fongicide classique, le soufre fonctionne très bien, voire mieux qu’une pleine dose de fongicide. Dans notre zone, sur colza, plus de 40 % des ha sont couverts avec du biocontrôle. Sur blé, 20 % des premiers traitements fongicides utilisent au moins une solution de biocontrôle. L’engouement est croissant. Jusque-là, choisir un produit, c’était trouver l’équilibre entre efficacité et rentabilité. Avec le biocontrôle, l’aspect « environnement » entre en jeu. L’agriculteur doit y trouver son compte. Sur rouille par exemple, il n’y a pas de solution efficace. Face à la virulence des attaques, conserver une solution chimique est important. L’avenir passe par la complémentarité du biocontrôle avec la tolérance des variétés aux maladies. Le levier génétique est certainement celui qui s’annonce comme le plus puissant. »

Catherine DESCHAMPS, directrice agronomie et innovation chez AXÉRÉAL
“Les grandes cultures restent le parent pauvre du biocontrôle” 

« Sur grandes cultures, le nombre de spécialités de biocontrôle est pour le moment très limité, contrairement à la vigne, l’arbo ou le maraîchage. D’autres freins expliquent à mon sens le manque de déploiement de ces produits chez les agriculteurs : une efficacité plus aléatoire ou limitée, des conditions d’application plus complexes, souvent un coût plus important… Malgré tout, chez Axéréal, nous soutenons ces produits, encore mal connus. Les agriculteurs confondent biocontrôle, biostimulants, bio tout court… Nous nous devons d’expliquer, de clarifier. Dans les mois à venir, nous allons renforcer notre communication pour mieux faire connaître ces spécialités et contre-carrer certaines idées reçues. Plusieurs produits ont été recalés par manque d’intérêt mais ceux que nous proposons sont validés par nos équipes techniques. »

Alors certains distributeurs, à l’image de la CAMN, ont, depuis quelques années déjà, opté pour la pédagogie. Une deuxième réunion d’échanges a eu lieu le 28 février, près de Nantes, entre agriculteurs, prescripteurs, fournisseurs et techniciens. « Ces échanges entre tous les acteurs du marché permettent de « défricher », d’avancer ensemble, de communiquer auprès de nos adhérents. Et pour les firmes, c’est aussi l’occasion de repérer des complémentarités entre leurs gammes », précise Claude Bizieux, le responsable appro de la coopérative et organisateur de cette journée.

Changer les habitudes et se démarquer

La formation des équipes terrain est indispensable pour affiner le mode d’emploi dans une situation donnée. Car utiliser un produit de biocontrôle s’avère en général plus complexe qu’un produit phyto classique. Une opportunité pour la distribution de se démarquer de la concurrence, en se recentrant sur un échange purement technique avec les agriculteurs. Pour les acteurs de ce marché, pas question d’opposer produits phytosanitaires de synthèse et solutions de biocontrôle. Ces deux approches restent souvent complémentaires, et efficaces ensemble. Plus que jamais, le raisonnement au cas par cas prévaut, avant tout fondé sur une approche préventive : l’utilisation d’OAD devrait y aider. Si, lors de notre enquête, le coût ne semble au final pas être un frein au déploiement de ces solutions, la peur du changement est, elle, bien réelle. Pour pallier cette crainte, les équipes techniques ne lésinent pas sur la dépense d’énergie pour convaincre, faire la chasse aux idées reçues, assurer la promotion de ces produits qui, à leurs yeux c’est évident, font partie des solutions pour répondre aux attentes sociétales. Communiquer, jouer la carte de la transparence et surtout, ne pas faire de fausses promesses.

La formation des équipes terrain est indispensable pour affiner le mode d’emploi des spécialités, dans une situation données

Article d’Anne Gilet

Pour retrouver l’intégralité du dossier (PDF téléchargeable) :

Référence-Appro, Les Indispensables – Avril 2019 : Déploiement du biocontrôle

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