Les voyages d’études permettent de croiser les regards afin d’en tirer de nouveaux apprentissages. Ce fut tout l’intérêt du voyage au Canada organisé par Agrilys et l’APAD du 18 au 27 juin 2019, autour du semis direct et de la gestion des sols. Immergés dans un environnement aux conditions pédoclimatiques bien spécifiques, l’enjeu était double : découvrir la manière dont les différentes techniques d’agriculture de conservation sont adaptées à ce milieu et mener une réflexion plus globale sur ces nouvelles pratiques agronomiques.

Les visites d’exploitations de soja et de maïs – les deux principales cultures du pays, de blé d’hiver et de printemps, de seigle, de canola ainsi que de haricots et de pois, ont permis de mieux appréhender les différentes techniques agronomiques mises en place dans cet environnement bien différent du nôtre.

En effet, le Canada est un pays qui se situe sur la même latitude qu’Angers… avec des hivers beaucoup plus rigoureux, qui s’étendent de mi-novembre à mi-avril, de la neige et des températures pouvant atteindre les -40°C. Outre des périodes culturales assez courtes (de mai à octobre), ce climat rend également les cultures d’hiver difficiles à positionner : la survie des cultures face au gel dépend de la quantité de neige tombée, qui servira alors d’isolant. 

Des couverts végétaux nécessaires à la fertilisation des sols en semis direct

Le semis direct est une technique très répandue au Canada : il représente 40% des terres cultivées contre 4% en France. Les personnes rencontrées ont une pratique très avancée du semis direct et des cultures associées.

Avec les cultures associées, l’idée est de chercher à générer des interactions entre chaque plante, de créer une complémentarité entre leurs apports et leurs besoins, afin d’en tirer mutuellement des bénéfices. Cette technique permet d’augmenter la photosynthèse produite, et donc le rendement par hectare.

L’un des premiers enseignements forts tiré de ce voyage d’étude : s’assurer de la bonne structure de son sol avant de passer au semis direct sous couverts. Selon les besoins de la parcelle, les Canadiens n’hésitent pas à sacrifier une année complète de culture pour sous-soler, drainer puis niveler la parcelle avant de positionner un couvert végétal pour le reste de la saison. Cela permettra à l’eau d’être évacuée plus rapidement et d’ainsi assurer une bonne oxygénation du profil. Bien structurer son sol c’est s’assurer d’un bon drainage.

Deuxième enseignement : assurer un démarrage rapide des cultures de printemps par une fertilisation localisée. Les fenêtres de semis sont courtes et ne laissent aucune place à l’improvisation. Une bonne qualité de semis couplée à une fertilisation localisée sont indispensables. Tous les agriculteurs rencontrés fertilisent en liquide directement sur la ligne de semis et complètent leurs apports d’azote dans l’inter-rang.

Généralement, le semis direct va reposer sur une rotation maïs, soja, céréale. Cette rotation permet d’assurer un bon développement des céréales d’automne. Bien souvent, le blé ou le seigle d’automne vont être semés à la volée, avant la récolte du soja. Le seigle d’automne est d’ailleurs privilégié par les agriculteurs canadiens pour sa meilleure résistance au froid, pour le pouvoir de structuration de son système racinaire et sa capacité à produire de la biomasse et du carbone.

Les Canadiens ont cette particularité de toujours évaluer en amont la pertinence de leurs choix agroéconomiques. Pendant 1 à 2 ans, ils testent donc différentes modalités sur des parcelles expérimentales, des « Parcelles cuisines », afin de les valider économiquement et agronomiquement avant de les déployer à plus large échelle sur leurs exploitations. C’est le cas de Colin Rosengren et Derek Axten qui mènent de nombreux essais sur leur exploitation dans le Saskatchewan. Plusieurs associations de cultures ont ainsi découlé de cette démarche. Parmi elles :

  • Un mélange canola (colza de printemps) et lentilles/pois, dans lequel les légumineuses vont fertiliser le canola en azote, ce qui va permettre de baisser de 80 unités la fertilisation du canola. De son côté, le canola va avoir un rôle de tuteur pour les pois et les lentilles, ce qui va assurer moins de pertes lors du battage
  • Un mélange maïs / soja, semés en même temps sur la même ligne de semis
  • Un mélange maïs et lin oléagineux, semé à la volée quand le maïs commence à pousser
  • Un mélange lin oléagineux / pois chiche

En matière de désherbage, les Canadiens peuvent utiliser des semences OGM Roundup Ready ce qui facilite l’intervention sur ces cultures associées. Pour autant, plusieurs de ces expériences sont adaptables au sol français, sous condition de pouvoir maîtriser ce désherbage.

Les cultures intercalaires : raisonner sa rentabilité à l’échelle d’une rotation

Les cultures intercalaires sont également très répandues au Canada. Il s’agit avec cette technique de semer des couverts dans des cultures déjà en place, afin de fertiliser les sols de manière biologique. Nous avons suivi différents itinéraires en cours de développement, notamment sur du maïs : celui-ci est semé à 150 cm, à une densité proche du conventionnel (80%). On va venir y implanter en inter-rang différents couverts : haricots noirs, pois fourragers, féverole…. Ces couverts végétaux vont baisser les besoins en fertilisation azotée du maïs, qui vont alors être laissés au sol et l’enrichir en matière organique. La rentabilité de cette technique peut alors surprendre. Cette pratique provoque en effet des pertes de rendement d’environ 20%, mais elle permet cependant d’obtenir des gains de rendements de l’ordre de 30 % sur la culture suivante, notamment sur du soja. L’intérêt ici est alors de raisonner la rentabilité de son exploitation non pas sur chaque culture, mais de raisonner sur une rotation.

Le choix du semis sous couvert permanent suppose une bonne gestion de la concurrence

À contrario, les couverts sont assez peu déployés dans les cultures canadiennes. L’hiver étant rude et long, le temps de pousse de ce couvert est court et reste inhospitalier. Quelques agriculteurs développent alors du semis sous couvert permanent avec différents mélanges de luzerne, mélilot, lotier, trèfle blanc, implantés dans leurs céréales de printemps. Ces couverts permanents explosent après la moisson, amendent le sol, préservent la structure l’hiver, favorisent le drainage au printemps et facilitent l’implantation de la culture suivante.

Nous avons d’ailleurs pu rencontrer des agriculteurs passionnants comme Sébastien Angers, un agronome qui s’essaie au semis direct sous couvert en agriculture biologique. Cette pratique, encore à l’étude, va regrouper l’ensemble de ces techniques de couverts permanents, cultures associées, cultures intercalaires, avec malgré tout un travail du sol sur la ligne de semis (scalpage et binage) afin de dégager la ligne, tout en conservant une couverture de l’inter-rang.

Toute la difficulté repose sur la gestion de la concurrence entre ce couvert et la culture en place, avec des périodes de développement différentes. Il s’agit alors de pouvoir raisonner sa rotation selon les propriétés de chaque plante et leurs influences sur le sol.

Les Canadiens ont développé des itinéraires techniques innovants (cultures associées, couverts permanant, cultures intercalaires…). Malgré un environnement pédoclimatique bien différent de celui que nous connaissons, nous pouvons très largement nous inspirer de ces pratiques en les adaptant à nos environnements.

Il ne s’agit plus d’avoir une vision réduite à l’échelle de cultures, mais de raisonner de manière plus globale sur l’ensemble d’un système de rotations.

Nous l’avons vu, la première étape d’un bon passage en semis direct est de s’assurer de la bonne structuration de son sol : retrouvez ici mes conseils pour structurer votre sol dans une culture de lin fibre en semis direct. Et pour toute question ou réaction contactez-moi ici ou directement sur mon profil Twitter @PaulRobertAgo

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